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Christopher Kulendran Thomas

Safe Zone

07 09 2024 05 01 2025

En collaboration avec Annika Kuhlmann

Christopher Kulendran Thomas recourt depuis une dizaine d’années à des outils et technologies de l’intelligence artificielle pour créer une œuvre inclassable sur les fictions fondatrices de l’individualisme occidental. Ses tableaux métabolisent l’histoire de l’art colonial, devenu prépondérant au Sri Lanka depuis que sa famille, tamoule, a quitté le pays, en proie à un déchainement de violences ethniques. Safe Zone associe peinture et images télévisuelles auto-éditées, pour confronter les médias du soft power.

À WIELS, Kulendran Thomas présente exclusivement des créations récentes dont une série de tableaux de petite taille et une très grande toile, ainsi qu’une œuvre vidéo sur 24 écrans. Évoquant le travail des premiers modernistes sri-lankais comme Justin Pieris Deraniyagala et George Keyt, dont on estime qu’ils ont apporté le cubisme sur l’île, les tableaux de Kulendran Thomas sont composés au moyen d’un réseau de neurones artificiels formés sur l’histoire de l’art colonial, introduit au Sri Lanka par les colons européens. Elles sont ensuite peintes à la main et représentent des scènes sur les plages de Mullivaikkal – peut-être une fête qui aurait un peu dégénéré, peut-être un violent massacre. Des silhouettes surgissent de l’obscurité, dotées d’une présence spectrale, éclairées par la lueur chaude d’une œuvre vidéo sphérique intitulée Peace Core (2024).

Ce travail a commencé comme un moyen pour moi d'aborder ma relation avec le conflit au Sri Lanka, et son prétexte colonial, à travers ma relation avec l'art même - ce que l'art fait et comment il prolifère.

Christopher Kulendran Thomas

Réalisée avec Annika Kuhlmann, collaboratrice de longue date, Peace Core contient des images diffusées à la télévision aux États-Unis pendant plusieurs minutes, un matin particulier, il y a des années. Cette œuvre s’inspire du montage des premières vidéos « corecore » sur TikTok, dans lesquelles images et musique sont associées arbitrairement dans le but de produire un impact émotionnel, donnant du sens à ce qui n’en a pas. Mais les images qui apparaissent dans Peace Core ont bel et bien un sens, sont continuellement éditées, de façon algorithmique, en une méditation hypnotique, et synchronisées avec une bande son en constante évolution, composée au moyen d’outils IA afin qui remixent à l’infini les sons et la musique diffusés ce matin-là.

Pour moi, les outils d'IA que j'utilise ne sont que cela - des outils. Faire de l'art à propos de l'IA - qui se contente d'illustrer ou de fétichiser la technologie - passerait à côté de la véritable transformation de ces technologies - qui est à la fois plus subtile et plus profonde que l'"apparence" du contenu généré.

Christopher Kulendran Thomas

Bien loin de l’émission de télé matinale américaine d’apparence anodine de Peace Core, le Tamil Ealam – d’où vient la famille de Kulendran Thomas – a fonctionné en auto-gouvernance pendant des décennies, en tant qu’État indépendant de fait. Mais l’Ealam a été effacé en 2009 par le gouvernement sri-lankais, arrivé au pouvoir dans le cadre des changements géopolitiques globaux impulsés par la prétendue « Guerre contre la terreur », au nom de laquelle des mouvements indépendantistes du monde entier, sans aucun lien entre eux, ont été qualifiés de groupes terroristes après les attentats du 11 septembre aux États-Unis.

Peace Core peut être saisi comme une performance perpétuelle qui prolonge à l’infini une sorte d’illusion suspendue de la fin de l’histoire. Baignée de la lumière chaude de cette singularité historique, l’exposition met en évidence des liens négligés entre des héritages culturels occidentaux et la violence qui en a découlé, chevauchant trois horizons – celui d’événements transmis en direct, au crépuscule de l’ère télévisuelle ; celui d’événements identifiés comme des conséquences géopolitiques, quasiment passés sous silence pendant des années ; celui d’événements à venir, alors que nous sommes à l’aube de la convergence technologique qu’implique l’ère de l’intelligence artificielle.

Je pense que l'omniprésence des technologies de l'IA entraîne un changement de perception qui transformera certaines des institutions fondamentales de notre civilisation, notamment notre conception linéaire du temps, les mythes historiques sur lesquels reposent nos États-nations et l'idée occidentale de l'"individu" en tant qu'unité de base de la société.

Christopher Kulendran Thomas

Curatrice : Helena Kritis

Une commande conjointe de : WIELS, FACT Liverpool et Artspace Sydney