Petrit Halilaj
Poisoned by men in need of some love
Petrit Halilaj est trop jeune pour se souvenir de la chute du Mur, mais suffisamment âgé pour très bien se rappeler ce qu’elle a entraîné dans son sillage pour ce qui allait devenir l’« ex- » Yougoslavie : conflit ethnique, guerre, exil forcé, corruption, deuil. Il n’était encore qu’un enfant quand sa famille a fui sa terre natale pour se réfugier dans un camp en Albanie pendant la guerre du Kosovo. L’histoire d’Halilaj est donc inséparable de la guerre et de l’exil, comme le démontre son œuvre. Cependant, même quand il puise dans son expérience, son œuvre rejette tout pathos ou nostalgie pour prendre une tournure bien plus optimiste, complexe sur le plan matériel, résonante du point de vue politique, et éminemment critique.
Dès le début, son utilisation de matériaux communs et de souvenirs d’enfance constitue une tentative de compréhension du sens de notions comme le « chez-soi », la « nation », et l’« identité culturelle ». Ses combinaisons fréquentes de terre, de gravats, de lattes de bois, de poules vivantes, et ses dessins délicats évoquent un monde à la fois intime et utopique, tout en révélant des réalités incontournables de la sphère socio-politique au sens large. Comme le feutre et la graisse pour Joseph Beuys, la mnémotechnique de Halilaj autour du chez-soi et de l’absence de chez-soi n’est ni documentaire à proprement parler, ni précisément romantique. Au contraire, son œuvre évolue élégamment sur la corde raide entre mémoire et actualité, ingénuité et fiction, intimité et expérience partagée.
Pour la première exposition de l'artiste en Belgique et sa plus grande exposition personnelle à ce jour, Halilaj poursuit son excavation du Musée d'Histoire Naturelle au Kosovo, un endroit autrefois remarquable et très apprécié avant que le nationalisme ne désintégre ce qu'on appelait autrefois la Yougoslavie. Au WIELS, il présente une nouvelle vaste installation composée d'un film qui dépeint l'état du musée «perdu», avec une série de copies d'animaux sculptées à la main et basées sur des photographies trouvées et des documents décrivant l’état dans lequel ceux-ci se trouvaient avant d’être remplacés par une présentation plus nationaliste de la tradition folklorique et du patrimoine. Le nouveau projet de Halilaj tente de redonner au musée et à ses spécimens une autre vie et une résonance politique renouvelé.
Petrit Halilaj (né en 1986 à Kostërrc, vit et travaille à Berlin, au Kosovo, et Mantoue) a étudié l'art à l'Académie de Brera à Milan. Son travail a été présenté dans des expositions solo, notamment : Pavillon de la République du Kosovo à la 55e Biennale de Venise, 2013 ; Who does the earth belong to while painting the wind?! (Kunst Halle Saint-Gall, 2012) et Petrit Halilaj (Kunstraum Innsbruck, 2011), ainsi que dans des expositions de groupe, notamment : The New Public (Museion, Bolzano), It doesn’t always have to be beautiful, unless it’s beautiful (la Galerie d'art du Kosovo, Pristina), Lost and found (une initiative nomade pour l'art contemporain, Anvers), 30 Künstler/30 Räume (Kunstverein Nürnberg / Albrecht Dürer Gesellschaft, Nürnberg, tous 2012), Ostalgia (New Museum, New York 2011 ) et la 6e Biennale de Berlin pour l'art contemporain (Berlin, 2010).
Curatrice de l'exposition: Elena Filipovic